Comment peut-on mentir aussi effrontément ?
Suite à la décision prise par deux des trois questeurs de l’Assemblée Nationale d’augmenter de 15 % la « dotation matérielle du député » au début de cette année, je me suis intéressé à l’argumentaire du premier d’entre eux.
Pour la justifier, le député LREM de la 8ème circonscription d’Ille-et-Vilaine, Florian Bachelier, a en effet prétendu haut et fort que – sous son impulsion – ses collègues « ont réalisé 55 000 000 € d’économies d’argent public en 3 ans, vont en constater plus de 30 000 000 € pour l’année 2020. Et auront, à la fin du mandat réalisé 100 000 000 € d’économie ».
Or, je ne supporte pas le mensonge sous la plume d’un élu.
D’où mes contributions ici-même démontrant qu’il n’y avait rien de plus faux :
- 6 février 2021 : Encore un trompe l’œil
- 10 février 2021 : Entre pirouettes et cacahuètes
- 11 février 2021 : A chaque année suffit sa peine
- 15 février 2021 : 55 millions d’économies fictives
D’autre part, par courrier suivi du 16 février 2021, j’ai interrogé Florian Bachelier sur la teneur de ses propos… mais il ne m’a bien évidemment jamais répondu : Une simple question simple.
Le 16 mai 2021, lorsque les comptes de l’Assemblée Nationale pour l’année 2020 ont été publiés, j’ai pris soin de montrer que, sans surprise, ils confirmaient mon analyse en tous points : Des résultats magiques
Je prends à présent connaissance de l’article que la revue Challenges consacre ce 19 juin 2021 à ces résultats.
Je cite ici trois extraits :
- « Les comptes de l’Assemblée nationale n’ont pourtant pas besoin de dérapage financier. Depuis 2017, ils sont dans le rouge à des niveaux jamais connus depuis plus d’une décennie.»
- La présidente de la commission de vérification des comptes de l’Assemblée fait même observer que « l’apparition d’un déficit structurel tout au long d’une législature est inédite et a de quoi inquiéter. »
- « De fait, les dépenses de fonctionnement, qui pèsent quelque 95 % du budget, ont progressé en cinq ans. Lentement mais sûrement. Alors qu’elles s’élevaient à 506 millions d’euros en 2016, elles ont avoisiné les 522 millions en 2020 et auraient même dépassé les 527 millions sans les gains liés à la crise sanitaire (moindres déplacements des députés, séances restreintes, etc.). Et si le premier questeur LREM de l’Assemblée nationale, Florian Bachelier, qui tient les cordons de la bourse, affiche volontiers 80 millions d’économies en quatre ans, son calcul se base sur l’écart entre des dépenses prévisionnelles élevées et des dépenses finalement réalisées plus faibles. Une manière de comptabiliser un brin artificielle, raille un connaisseur des finances du Palais-Bourbon. Dans les faits, depuis 2017, les moyens alloués aux députés ont plutôt augmenté : hausse de 10 % de l’enveloppe pour salarier leurs assistants, passage de 900 à 1.200 euros du plafond de remboursement d’un loyer pour un pied-à-terre à Paris, augmentation de 15 % des crédits pour la téléphonie, les taxis ou le courrier.»
Je ne déteste pas la formulation malicieuse du « connaisseur des finances publiques du Palais Bourbon », mais je réaffirme pour le commun des mortels que l’escroquerie intellectuelle de Florian Bachelier n’est pas digne d’un représentant de la Nation.
D’abord parce que, comme je l’ai précédemment expliqué, un écart entre une prévision et une réalisation n’est pas une économie (à fortiori lorsque la prévision est – comme chaque année – volontairement surévaluée, parce que le budget de l’Assemblée Nationale peut être présenté en déséquilibre, au contraire du budget des collectivités territoriales ou des établissements publics), et ensuite parce que c’est pour le moins loufoque (je pèse mes mots) d’additionner de tels écarts constatés sur des périodes successives.
Le point de vue du chantre de la moralisation de la vie publique est en réalité du pur concentré de malhonnêteté.
Je n’ai pas souvenir d’avoir été autant en colère depuis plusieurs années.
Keep cool !
Merci encore pour votre vigilance !
Et, comme je m’en doute, vous connaissez le mythe de Sysiphe, et l’avis de Camus à ce sujet…
Pas sûr d’avoir compris ce que vous voulez dire.
« Les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler sans cesse un rocher jusqu’au sommet d’une montagne d’où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu’il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir. » ???…
Tout cela me fait penser au malheureux baril de lessive vendu au prix prohibitif de 18 € auquel la grande surface applique généreusement une promotion de 80 % en bon d’achat. Mais bon, ce n’est là que du commerce, non pas un questeur en charge de finances publiques.
Bien vu !…
Je n’y avais pas pensé, mais – au fond – c’est bien de même nature.