Et si on parlait des femmes de ménage ?…

Avec son autorisation, je publie ci-après la contribution d’un ancien directeur d’hôpital, fidèle lecteur de ce blog, Michel Deshayes, qui nous invite à poser notre regard sur la condition des femmes de ménage en général et sur celles qui exercent en milieu hospitalier en particulier, parce que ce sujet lui tient à cœur.

Les femmes de ménage qui assurent la propreté du CHU de Montpellier, employées par une société prestataire, ont récemment repris le travail après 78 jours de grève.

Auparavant, en octobre dernier, ce furent celles qui interviennent au CHU de Rennes, également dans le cadre d’une sous-traitance. Elles avaient envahi les locaux de la Direction pour protester contre leurs conditions de travail et les cadences jugées infernales.

Un excellent documentaire de Karine Morales « Les reines du palace » a été réalisé en 2021. Il décrit la dure grève de 40 femmes de ménage d’un palace parisien de la rue de la Paix pendant trois mois, en 2018. Toutes avaient été remplacées par la Direction dès le premier jour. Pour rester visibles (et audibles), elles troublèrent la quiétude de ce luxueux quartier avec leurs casseroles, au grand dam des riverains de la rue de Paix et la Place Vendôme,.. Elles dénonçaient les conditions de travail difficiles qui leur étaient imposées, avec des journées en réalité à temps complet, mais pour un salaire de temps partiel car la rémunération se fait à la chambre. Une grève menée pour de meilleurs salaires, pour faire 3 chambres à l’heure au lieu de 3,5 et aussi pour plus de dignité. Les grévistes demandaient également d’être intégrées au personnel de l’hôtel, ce qu’elles n’obtinrent pas.

Trois chambres en une heure… chacun peut aisément imaginer l’exigence de qualité de service attendue dans un palace où la nuitée est au minimum de 1500 €, avec le rythme de travail qui en découle.

Pour revenir à l’hôpital, dans le petit cercle des acheteurs publics, des tenants du « make or buy » (en français : « faire ou faire faire ») mettent en avant comme vérités d’évidence les avantages pour un hôpital d’externaliser les activités qui ne sont pas dans son cœur de métier (moindre dépense, meilleur service etc….). Ces vérités ne s’imposent pas ainsi que les grèves le démontrent.

En effet, faire le choix d’externaliser le ménage :

  • c’est introduire un intermédiaire : intuitivement, on se dit que ce n’est pas vraiment de nature à alléger les dépenses. Les chiffres d’affaires de certaines sociétés prestataires se portent en tout cas très bien.
  • c’est l’obligation pour l’hôpital de mettre le marché en concurrence tous les trois ou quatre ans. En cas de changement de prestataire, l’entreprise retenue reprend les salariés de l’ancien titulaire. Autrement dit, les entreprises tournent et les salariés restent. Comment le nouveau titulaire peut-il proposer des prix plus bas, si ce n’est en imposant des rythmes de travail de plus en plus soutenus, au détriment de la santé et des conditions de vie de leurs professionnels ? Certes, le code des marchés publics n’impose nullement à l’acheteur public le choix de l’entreprise la moins chère. Selon les dispositions de l’appel d’offres, le critère prix peut ne pas être le critère majoritaire, permettant ainsi le choix du mieux-disant. Au vu des récents conflits, on peut douter que les cahiers des charges se soient montrés suffisamment attentifs aux autres dimensions que le prix.
  • l’hôpital n’est pas un palace mais il n’en a pas moins des exigences tout aussi élevées, eu égard aux risques d’infections nosocomiales inhérentes à son activité. Un turn-over du personnel est un facteur défavorable. On ne manquera pas de relever à cet égard que l’entreprise prestataire rennaise a connu 16 licenciements et 21 démissions depuis 2021.
  • ces femmes de ménage employées via la sous-traitance, quelles évolutions de carrière peuvent-elles espérer ? Elles sont très limitées, pour ne pas dire inexistantes puisque l’entreprise est hyper-spécialisée. Alors qu’un employé de ménage dans un hôpital peut avoir de réelles perspectives, notamment dans la filière soignante.

Je me souviens d’un échange que j’avais eu avec le Directeur Général d’un CHU, il y a bien longtemps. Il me confiait que son établissement venait de décider d’externaliser le ménage. Il le regrettait et considérait cette décision comme un aveu d’échec. Il y voyait le signe que son hôpital n’avait pas su gérer son équipe de ménage comme il aurait dû le faire.

Ces femmes de l’ombre, ces invisibles, ces vulnérables, ces femmes qui se rendent au travail tôt le matin alors que les transports en commun ne fonctionnent pas encore méritent assurément qu’on leur prête de l’attention.

Michel Deshayes

 

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