Tout le monde peut se Trumper
Au cours de la séance de questions au gouvernement de ce mardi 9 mars 2021, le député LREM Florian Bachelier a interpellé le Ministre de l’économie et des finances à propos du soutien aux indépendants, qu’il estime défaillant en cette période de crise sanitaire.
« Ils s’appellent Clémence, Sami, Sophie, Erwan, Angela, et ils désespèrent de constater que ce qui est voté ici, dans cette Assemblée à Paris, ne se concrétise pas chez nous, à Rennes, Mordelles, Le Rheu ou Saint-Jacques-de-la-Lande.»
A ce stade, je trouve que sur la forme, on dirait presque du François Ruffin… 😉
Mais c’est surtout le fond qui m’interpelle :
« Alors, on leur répond problématique de ressources humaines. On leur répond complexité administrative. Certains grands auteurs, ici même, répondent monarchie technocratique et État profond. »
Nul doute que cette dernière allusion n’a pas pour objectif de contredire les thèses de Bruno Lemaire, qui vient d’en faire son miel dans le dernier livre qu’il a publié le 14 janvier dernier aux éditions Gallimard sous le titre « L’ange et la bête ».
Ce n’est pas d’aujourd’hui que Bruno Lemaire estime que la Ve République est devenue une « monarchie technocratique ». Et c’est couramment qu’il dénonce les méfaits de « l’Etat profond » : ce réseau de décision dissimulé qui détiendrait le pouvoir… cette confédération d’intérêts particuliers, d’initiés et de compères qui ferait échec aux élus… au fond, cette forme de contre-pouvoir qui ne rendrait jamais de compte à la Nation.
Moralité :
- quand ça va, ça va et c’est bien évidemment grâce à ceux qui nous gouvernent
- quand ça ne va pas, c’est tout aussi évidemment la faute à la fonction publique
Ce n’est pas encore tout-à-fait du Donald Trump, mais on dirait que ça vient. 😉
L’État français est généralement reconnu pour avoir été très réactif à déployer des mesures économiques protectrices. Qu’il y ait des trous dans la raquette, certainement, avec des personnes en difficulté et désespérées, c’est vrai aussi. Pour autant, l’évocation d’une organisation souterraine qui agirait en secret contre le pouvoir politique, car c’est bien cela que l’on désigne sous l’expression État profond, devrait être laissée aux seuls conspirationnistes et aux populistes. Ils sont assez nombreux et en font déjà bien assez pour qu’on n’en ajoute pas une couche.
Oui, mais il n’en demeure pas moins que les notions de « monarchie technocratique » ou d' »État profond » reste à questionner (et notamment le formatage idéologique des équipes qui hantent les coulisses des ministères et issues majoritairement de l’ENA)… Ce ne sont pas des notions pertinentes ou une idéologie mais bien plus des habitudes de pensée et du pur conformisme.
On parlait auparavant de « techno-structure »… Là, dans les termes utilisés, seule la sémantique change, pour coller à l’actualité.
Je pense plutôt de mon côté à la porosité entre les haut-fonctionnaires et le secteur privé (le fameux « pantouflage », les navettes via les « carnets d’adresses », les clubs des élites et des dîners en ville comme l’a montré l’affaire Olivier Duhamel et le cercle nommé « Le Siècle »…) ou de ces ministres et présidents qui fricotent allègrement avec les plus grosses fortunes sans même s’en cacher (Bettencourt, Arnauld, Pinault, Bolloré…). Il est évident qu’ils ont une influence sur nos politiques nationales, bien au-delà de leur propres convictions personnelles. Et que l’on peut entendre des ministres actuellement se réclamer « de gauche » tout en menant une politique de droite : comment les croire, à qui pensent-ils ?
Bref, rien de bien nouveau sous le soleil… du pouvoir !