Une question au Ministre de l'Intérieur

Rennes, le 14 avril 2015

Patrick Jéhannin
24 rue Barthélémy Pocquet
35000 – Rennes
à
Monsieur le Ministre de l’Intérieur
Place Beauvau
75008 – Paris

Lettre R/AR n°

Monsieur le Ministre

Certes, en l’absence de gentilé, c’est-à-dire de nom résultant de l’usage, un certain nombre de collectivités territoriales ont ici ou là pris acte de ce qui leur est apparu comme étant l’appellation préférée de leurs ressortissants et en ont encouragé, voire clairement accompagné la diffusion.

Mais à ma connaissance, aucune assemblée municipale, départementale ou régionale, n’a encore fabriqué dans le plus grand secret une appellation destinée à identifier les habitants.

Aucune ne s’est permis de ne révéler qu’en séance, et donc aux seules personnes présentes, un pur néologisme… et de décider que cette appellation inédite, jusque là forcément ignorée de tous puisque volontairement et très scrupuleusement cachée à la population, ainsi que l’a indiqué lui-même le Président du Conseil général d’Ille-et-Vilaine le 19 juin 2013 sur les ondes de France Bleue Armorique, s’imposerait désormais « pour l’éternité » (sic) au-delà même du territoire.

L’acte qui a été posé en Ille-et-Vilaine le 20 juin 2013 diffère fondamentalement de tous les autres, car il est fièrement et sans ambiguïté revendiqué comme étant la création d’un vocable par décision souveraine d’une assemblée délibérante (recueil des actes administratifs n° 442 du 12 juillet 2013).

Le 14 octobre 2014, je vous avais interrogé à ce propos, mais mon courrier est malheureusement resté sans réponse aucune.

Toutefois, ce 30 mars 2015, lendemain du second tour des élections départementales, le directeur Général des collectivités locales s’est saisi de la question.

Qu’il me soit permis d’observer en premier lieu qu’en vertu du décret n°2005-850 du 27 juillet 2005, Monsieur Serge Morvan était parfaitement en capacité de m’apporter par délégation – dès le mois d’octobre dernier – une réponse émanant de l’autorité sollicitée, c’est-à-dire de vous-même.

Je remarque ensuite que le courrier que je reçois près de six mois plus tard ne constitue qu’une prise de position d’un haut fonctionnaire, agissant es qualité, à l’issue d’une période de réserve accentuée nécessaire au respect de la neutralité politique de l’autorité administrative.

Je relève enfin que ce courrier contredit substantiellement la correspondance du 5 janvier 2015 (ci-jointe), que j’ai reçue de Monsieur le Préfet d’Ille-et-Vilaine, intervenant sur la sollicitation de Madame la Ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique, pour faire état d’une réponse du Ministre de l’Intérieur à un Parlementaire qui « s’applique aux départements », et qui, à ma connaissance, n’a pas été rapportée à ce jour (JO AN, 15 janvier 1990, page 219).

Au-delà des véritables discordances qui existent entre ces deux positions, je regrette que ni l’une ni l’autre n’ait intégré ce qui me paraît transcender le principe de libre administration des collectivités.

En effet, à l’occasion de la promulgation de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, le Conseil constitutionnel a estimé sans ambiguïté que « la liberté  de communication et d’expression proclamée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen … implique le droit pour chacun de choisir les termes jugés par lui les mieux appropriés à l’expression de sa pensée » et par voie de conséquence que « le législateur ne peut régler le vocabulaire à employer que pour les personnes morales de droit public et les personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public ».

Et nous savons, qu’en vertu de l’article 62 de notre Constitution, cette décision n° 94-345 DC du 29 juillet 1994 s’impose « aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles », parmi lesquelles bien évidemment le département d’Ille-et-Vilaine.

Naturellement, notre langue est et doit rester vivante, mais où irait-on si chaque collectivité pouvait à sa guise créer d’autorité les mots qui lui conviennent et décider de leur usage ?

Je reviens donc vers vous pour savoir si, au regard de ces divers éléments et d’autres dont vous pourriez disposer, le Conseil général d’Ille-et-Vilaine était bien habilité à introduire dans la langue française un nouveau vocable décidé par lui seul, par voie de délibération prise à la majorité de ses membres sur la base d’un rapport rectifié en séance… pour tenir lieu de gentilé, comme il le prétend.

Vous remerciant par avance de la réponse juridiquement argumentée que vous voudrez bien apporter ou faire apporter en votre nom à cette question, je vous prie de croire Monsieur le Ministre, en ma très haute considération.

Patrick Jéhannin

Copie :   Monsieur le Premier ministre
               Madame le Secrétaire perpétuel de l’Académie française

PJ : 2

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