La rhétorique départementale
Dans l’article du magazine « Nous Vous Ille », intitulé « Nous sommes tous des Bretilliens » (n° 102 – page 9), le dernier paragraphe que voici a pour objet de motiver le choix du gentilé :
Pourquoi avoir choisi Bretillien ?
« Bretillien est une association des mots Breton et Illien. Comme Breizhilien, qui arrivait en tête des propositions des lecteurs de Ouest-France, ce gentilé rattache le département à la Bretagne, tout en préservant un lien avec le nom Ille-et-Vilaine. Mais ce gentilé est apparu moins clivant que Breizhillien, qui oscille entre séduction et provocation. Et le « breizh » est une référence à la langue bretonne, que tout le monde ne parle pas en Ille-et-Vilaine. L’assemblée départementale a jugé que le gentilé Bretillien était davantage susceptible de rassembler. »
C’est presque beau, mais il suffit d’y prêter un peu attention pour constater que cette douce littérature n’est que du concentré d’arguments fallacieux, que l’on a pris soin d’habilement délayer.
On y voit mobilisées bien des ressources de la manipulation mentale.
1 – Bretillien est une association des mots Bre-ton et Illien
Non seulement l’argument masque très grossièrement à l’écrit la prononciation accentuée qui a pour effet de le réduire à néant à l’oral, mais de manière très subliminale, il ramène à ce que l’on appelle en rhétorique « l’argument de la nouveauté » (argumentum ad novitatem), qui consiste à suggérer comme ça mine de rien qu’une idée ou une proposition est correcte ou d’une validité supérieure parce qu’elle est nouvelle et « moderne »
2 – Comme Breizhilien, qui arrivait en tête des propositions des lecteurs de Ouest-France
On retrouve là le procédé dit de « la fausse analogie », également connu sous le nom de « syndrome Galilée« , qui vise à alimenter une illusion logique.
L’effet en est opportunément renforcé en altérant l’élément de comparaison qui, dans le sondage effectué par Ouest-France, n’était pas Breizhilien comme il est prétendu là, ni même Breizhillien, mais Breizh-Illien (avec un tiret, une majuscule et 2 « l »)
3 – ce gentilé rattache le département à̀ la Bretagne, tout en préservant un lien avec le nom Ille-et-Vilaine.
Au niveau du pouvoir évocateur, spécialement pour les extra…territoriaux, ça me paraît personnellement à peine plus convaincant que de prétendre – pourquoi pas ? – que le « et » de Bretillien préserverait un lien avec le nom Ille-et-Vilaine, et même le lien qu’il y a entre l’Ille et la Vilaine… pendant qu’on y est. 😉
Mais je vois bien « l’argument d’autorité » (Argumentum ad Verecundiam) : c’est la proposition d’un « comité d’experts », et je ne peux que répondre à un « appel à l’humilité », puisque (ceci a été modélisé) : les contradicteurs sont réputés insignifiants par rapport à cette autorité.
4 – Mais ce gentilé est apparu moins clivant que Breizhillien, qui oscille entre séduction et provocation.
A moins de considérer que le département se limite à la salle de réunion de l’assemblée départementale, c’est ici clairement « l’affirmation gratuite » d’une contre-vérité largement établie puisque – à chaud, comme plus à froid – plus de 80 % des internautes qui se sont prononcés ont récusé l’appellation « Bretillien ».
5 – Et le « breizh » est une référence à la langue bretonne, que tout le monde ne parle pas en Ille-et-Vilaine.
Mais, tous les « Bretilliens » habitent ils sur les bords de l’llle ?… Non : c’est bien la preuve que cet argument en masque un autre, qui n’est pas révélé mais qui conduit en toute « mauvaise foi » à un refus catégorique de la racine.
6 – L’assemblée départementale a jugé que le gentilé Bretillien était davantage susceptible de rassembler.
Le procédé est celui de « l’appel à l’ignorance » (argumentum ad ignorantiam), qui consiste tout simplement à prétendre qu’une proposition est vraie parce qu’elle n’a pas été démontrée fausse.
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Le pire est que tout cela baigne dans un double « faux dilemme », puisque l’article de « Nous Vous Ille » porte à penser que le choix s’offrait entre Breizhillien et Bretillien alors que ce choix a été savamment filtré pour être effectué entre Bretillien et Haut-Breton… et que l’on sait de surcroît (vive « la technique de l’épouvantail ») que « Haut-Breton » n’avait aucune chance d’être retenu par l’assemblée.
Enfin, dernier procédé emprunté aux ressources de la rhétorique mais non le moindre, tout cela aura permis une très jolie « diversion » par rapport à la réflexion sur la nature et sur le devenir de la circonscription administrative.
N’était ce pas là le principal ?…