« En espoir de cause »

C’est avec plaisir qu’à la demande de Colette Trublet je diffuse sa lettre ouverte au Conseil constitutionnel à propos de la loi Molac relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion.

Fondatrice en 1989 de « Bécherel, Cité du Livre » et toujours très active, Colette Trublet ne peut certainement pas être suspectée de nuire à la langue française par ses positions et initiatives.

Si vous le souhaitez, vous pouvez télécharger ce document ici (clic)

LETTRE OUVERTE AUX AUTORITÉS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Je prends la liberté de vous écrire au sujet de la loi Molac concernant les langues régionales.

Michel Feltin-Palas, journaliste à l’Express, en charge d’une rubrique sur les langues, nous fait part dans sa lettre hebdomadaire, des arguments de Jean-Eric Schoettl, ancien secrétaire du Conseil d’Etat durant dix ans, de 1997 à 2007, hostile à la ratification de la charte européenne des langues régionales et préconisant l’inconstitutionnalité de la loi Molac. Il pense que les Bretons ne veulent plus parler leurs langues. Monsieur Feltin-Palas lui rappelle qu’à l’origine ils voulaient avant tout protéger leurs enfants contre les punitions et les humiliations infligées à l’école. L’histoire de l’enfant qui urine dans sa culotte parce qu’il ne sait pas demander en français l’autorisation d’aller aux toilettes s’est maintes fois répétée, sous de multiples prétextes. La Bretagne entière a fait ce qu’elle a pu pour protéger ses enfants, au détriment de ses racines et de son identité.

Une soixantaine de députés qui ne comprennent toujours pas ce qui se passe dans la tête des gens, vient de faire la saisine du Conseil Constitutionnel. Leurs noms ont été publiés.

L’identité, base de la vérité de l’être, structurée par la langue maternelle, est semblable à un millefeuille. Modestement, je vous présente quelques feuilles de mon identité personnelle : Je suis citoyenne de La République Française. Géographiquement, culturellement, historiquement, je suis Bretonne. Je parle français, suite aux interdictions cumulées et successives de parler le gallo/breton, langue de vaincus par les soubresauts de l’histoire. Le breton, dont la toponymie témoigne, était parlé dans les pays de Rance dont je suis originaire, jusqu’au 12ème-13ème siècles. J’ai 86 ans.

Par ailleurs, pour compléter mon identité personnelle, Je vous présente mon association Savenn Douar, fondatrice d’une « Entreprise Culturelle en Milieu Rural », sur des principes d’autonomie des personnes et des biens et de solidarité dans le domaine des animations promotionnelles. « Bécherel, Cité du Livre » a vu le jour à Pâques 1989. Sa réussite ne s’est jamais démentie. Notre modèle a été suivi par sept autres villages du livre en France. Nous avons généré cinquante à soixante emplois dans une commune de 700 habitants. Nous avons mis à l’honneur des ouvrages sur la culture et les langues bretonne et celtique. Nos librairies de livres anciens et d’occasion, diffusent également sans discrimination, en français évidemment, des œuvres et des traductions d’ouvrages très diversifiés. Bref le monde entier, actuel et ancestral, est représenté par ses livres, à Bécherel.

Nous voulions rendre ses racines à notre civilisation bretonne anciennement celtique européenne : Durant des millénaires, elle s’est diffusée lentement et profondément dans nos pays.

Ce qui est important pour chacun c’est ce qui se passe là où il vit. Nous voulons un gouvernement qui tient compte de nos raisons de vivre. Nous ne voulons pas subir le joug d’intellectuels froids et impersonnels, qui ne travaillent qu’entre eux, sans nous, dans les sphères d’un État sans âme ni racine.

Je me permets de vous rappeler ce que disait douloureusement Léopold Sedar Senghor : « La France a réussi à faire passer son nationalisme pour de l’universalisme ».

Il est parfois difficile et courageux de sortir de ses habitudes intellectuelles. Soyez assurés que des arguments hostiles à la loi Molac alimenteront nos colères. Nous souffrons profondément, même si nous ne savons pas toujours en attribuer la cause à des mutilations humiliantes culturelles et géographiques. Nous penserons une fois encore, peut-être une fois de trop, que vous voulez faire durer un nationalisme étroit largement dépassé au détriment, comme d’habitude, des Territoires. Laissez vivre nos langues régionales. Elles évolueront suivant leur pente naturelle. Il serait sage de les soutenir comme il est sage de soutenir le français, mis actuellement en concurrence avec l’anglo-américain. Elles seront possiblement un rempart protecteur contre d’autres invasions.

Pour l’essentiel qui est indispensable à la compréhension des raisons de construire ensemble l’Europe dans ses profondeurs territoriales, il est utile de savoir que ses racines sont d’abord celtiques, puis gauloises puis grecques et latines, ce dont témoigne l’évolution des langues européennes, qu’elles soient minoritaires ou dominantes…

Respectueuse de la mission qui vous est confiée, j’espère que vous saurez vous rendre à l’évidence d’arguments ressassés durant des années, et particulièrement depuis que le Président de Gaulle nous avait promis, en son temps, la décentralisation dans le respect des territoires. La même promesse a été réitérée par tous les Présidents successifs, sans jamais être tenue. J’espère aussi que vous prendrez votre décision en toute bonne justice sans tordre l’esprit de la loi pour la mettre au service d’une idéologie nationaliste devenue insupportable.

En espoir de cause, je vous assure de mon respect pour votre mission.

Colette Trublet – 15 Mai 2021

4 commentaires

  • MARTIN

    Je suis globalement d’accord avec le contenu de cette lettre ouverte.

    Je suis originaire d’Ille et Vilaine, plus précisément des Marches de Bretagne entre Vitré et La Guerche. Je parlais « patois » c’est à dire Gallo quand je suis rentré à l’école primaire de mon village mais étant 10 ans plus jeune que Mme TRUBLET je ne me souviens pas avoir subi de discrimination pendant mes premières années de scolarité.

    D’ailleurs dans la cour de récréation nous parlions tous « patois » et revenions au français en rentrant en classe.

    Je suis reconnaissant à l’école de la République de m’avoir permis de bien apprendre le Français et de pouvoir devenir professeur agrégé de Lettres Modernes mais je me souviens que dans mon cursus universitaire, notamment pendant les cours de phonétique historique, j’ai retrouvé avec plaisir, en ancien français des mots de la langue de mon enfance.

    C’est pourquoi je pense que la maitrise conjuguée de la langue dite « maternelle » (le gallo, le breton, le basque…) et du Français est une richesse, un ensemble de fenêtres ouvertes sur des cultures et, pour moi, le gallo qui est une langue liée surtout, je crois à une société à dominante rurale me rappelle ce monde et cette culture de ma prime jeunesse.

    Je n’ai aucune connaissance ni aucune compétence en breton que l’on n’a jamais parlé chez moi mais ayant milité dans ma jeunesse au PSU-Bretagne je me souviens d’avoir mal vécu quelquefois ce sentiment de supériorité de mes camarades Finistériens, Morbihannais ou des Côtes du Nord qui nous reprochaient à nous militants d’Ille et Vilaine de ne pas connaitre le Breton… alors que beaucoup d’entre eux ne le parlaient pas eux-mêmes.

    Je me suis parfois demandé si dans certaines circonstances, toute langue n’a pas un peu tendance à une sorte d’impérialisme.

    Je viens d’ailleurs d’enregistrer (pour les personnes empêchées de lire), et donc de relire le livre de Per Jakez Hélias : Le cheval d’orgueil et j’ai trouvé intéressantes les observations qu’il fait à la fin de son ouvrage sur l’enseignement du breton et les risques « d’affadissement » et de « normalisation » de cette langue qui risque de perdre ses spécificités et ses particularismes locaux en étant enseignée à tous les petits bretons de la même façon.

    Cela ouvre des débats sur l’enseignement de ces langues.

    Le Gallo de Lamballe n’est pas le même que celui de Vitré.

    Dernière remarque : il me parait surtout important aujourd’hui que l’enseignement des langues « régionales » n’empiète pas sur l’enseignement du français dont le temps d’apprentissage a déjà été largement amputé. Il serait important que les jeunes disposent d’un vocabulaire plus étendu que celui très rabougri dont ils usent. Il serait aussi important que nos « pseudo élites » cessent d’utiliser leur jargon anglo-américain comme le fait notre Président de la Start up Nation… et que l’on arrête de nous rebattre les oreilles avec cette écriture injustement appelée « inclusive » alors qu’elle ne fait que compliquer l’apprentissage du Français par les enfants et par les étrangers.

    • Merci M. Martin pour votre belle réponse !

      Oui, dialectes, parlers, patois, particularismes… Breton KLT versus les tenants des anciennes traditions linguistiques qui disparaissent sous nos yeux (enfin, nos oreilles !). Les batailles entre les bretonnants de l’UBO et ceux de Rennes…

      J’ai appris l’anglais, l’espagnol, un peu l’allemand, du chinois… Mais jamais de breton, et encore moins de gallo… Enfin si, un peu sur le tard… C’est une langue extrêmement difficile de par son vocabulaire et sa grammaire.

      Brestois d’origine, je n’avais pas spécialement réfléchi ni même vécu ma « bretonnité » en étant jeune. Il m’a fallu venir à Rennes pour mes études pour découvrir tout cela…

      Et, comme j’aime bien le rappeler : « Brest » est sûrement la grande ville bretonne la « plus française » (de par son histoire) et la seule qui ait conservé son nom « breton » (à l’étymologie encore incertaine)… Curieux !

      Oui, connaître plusieurs langues est une richesse et cela ne doit pas se limiter à l’anglais qui, quoi qu’on en dise, est une langue très riche et qui, d’expérience, est précieuse pour s’initier à l’allemand notamment. Et tout s’enchaîne…

      Les langues n’ont aucune tendance à « l’impérialisme », elles circulent via leurs locuteurs librement, en fonction des besoins, des lieux, des voyages… Et c’est ensuite et toujours une question politique dès que le pouvoir souhaite imposer son idéologie : pour l’anglais, c’est le business, la mondialisation… Pour le breton, cela restera encore longtemps une question d’amour et même aussi d’un peu de militantisme contre les lois actuelles comme on le voit dans cette triste polémique qui n’est pas la première ni sûrement la dernière. Une chose est sûr : on reste libre d’apprendre la langue que l’on souhaite, et les outils ne manquent pas !

      A lire notamment : https://www.letelegramme.fr/dossiers/reunification-de-la-bretagne/reunification-battons-nous-plutot-pour-la-langue-bretonne-propose-l-historien-alain-croix-15-05-2021-12750218.php

      Et, à voir actuellement, une série tout en breton !
      https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/fin-ar-bed-saison-02-la-serie-a-ne-pas-manquer-se-devoile-sur-france-tv-2081200.html

      Cordialement

    • Michel Deshayes

      Je partage tout à fait les propos de M.Martin.
      À titre d’anecdote, je rappelle lors de présentations en réunion que PowerPoint emploie le mot diapo et non pas slide. Peut-être faudrait-il que je le dise en anglais parce que je n’ai pas beaucoup de résultats

Tous commentaires ici bienvenus de la part des personnes assumant leur identité