Un festival de sornettes

Pardonnez la longueur de cette contribution, mais je suis sidéré par les informations qui sont véhiculées par Ouest-France ce 21 décembre 2016 sous la plume de Stéphane Vernay, en page Bretagne-Ille-et-Vilaine sous l’intitulé :

Trois ans après, les gallécos ont fait des petits

avec une manchette en première page :

Depuis 2013, la monnaie locale galléco prospère

Comment peut-on écrire de telles sornettes ?

Quelques exemples.

Je lis que : les gallécos sont imprimés par les services du Département.

C’est faux, car si les premiers billets (qui sont aujourd’hui décriés par les porteurs du projet eux-mêmes, en raison de leur poids et de leur sécurisation) ont bien été imprimés par les services du Département, ils ont été remplacés à partir de juin 2015 par des billets qui ne le sont plus.

Je lis que : les billets de cette étrange monnaie s’utilisent comme n’importe quels autres, à une nuance près

C’est faux, car c’est oublier beaucoup d’autres « nuances », comme par exemple le fait que les particuliers qui en achètent ne peuvent pas les reconvertir et sont obligés de les dépenser (et pas n’importe où) pour ne pas les perdre. Ils s’utilisent en réalité non pas comme n’importe quels billets, mais comme n’importe quels chèques-cadeau.

Je lis que : les gallécos ne peuvent s’utiliser que dans des entreprises d’Ille-et-Vilaine qui vendent des produits ou des services élaborés sur le territoire du département.

C’est doublement faux.

Si les produits et services sont bien commercialisés localement, il est bien évident qu’ils ne sont pas élaborés localement… tant s’en faut. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à réfléchir par exemple à l’origine des produits commercialisés par les magasins de la société Scarabée Biocoop qui sont de loin les plus gros récepteurs de gallécos.

Par ailleurs, il se trouve que plus de 10 % des entreprises sont localisées dans le Morbihan et la Loire-Atlantique, et que ce taux monte à près de 30 % là où cette monnaie marche le mieux : dans le Pays de Redon, ce qui fait qu’elle peut être utilisée dans 2 Régions et 3 Départements.

Je lis que : payer en galléco a donc pour but de créer de la richesse, et donc de l’emploi, au niveau local.

C’est prendre ses désirs pour des réalités : on ne peut que regretter qu’en 3 ans il n’y ait pas eu d’augmentation du chiffre d’affaires des prestataires et que le dispositif n’ait permis absolument aucune création d’emploi en dehors des 2 salariés de l’association financés par l’impôt.

Je lis que : pensé en 2011 par le conseil général d’Ille-et-Vilaine, le projet Galléco a été confié à une association créée pour l’occasion, la collectivité n’ayant pas pour vocation à devenir une banque.

C’est un sophisme : l’association non plus n’a pas vocation à devenir une banque. Elle ne l’a d’ailleurs pas été et elle ne le sera jamais.

Je lis que : l’association Galléco, financée par le Département (elle a reçu 339 500 € de subvention plus un prêt de 40 000 €), a vu le jour en mars 2013.

Le coût pour le Département (donc pour les contribuables) a largement dépassé ce montant. On peut sans risque l’estimer aux alentours de 500.000 euros si l’on veut bien prendre en compte les frais d’organisation d’une table ronde, l’impression des premiers coupons, le financement de l’achat d’une machine qui devait les sécuriser mais qui n’a jamais servi, la constitution et la diffusion d’un dossier de presse, les frais d’organisation d’une rencontre nationale, le recrutement d’un stagiaire au département pour cela, le renoncement aux intérêts sur une avance de 40.000 euros sur 3 ans, le marché d’évaluation de l’expérimentation, la valorisation de la participation des fonctionnaires territoriaux notamment au plan de l’expertise juridique, sans compter par exemple la participation indirecte au financement d’un « dispositif local d’accompagnement »…

Je lis que : elle a commencé par un test grandeur nature du Galléco, à l’échelle du Pays de Redon, avant d’embaucher deux salariés en juillet de la même année.

C’est faux : il n’y a pas eu de test grandeur nature du Galléco, à l’échelle du Pays de Redon et je ne vois pas où aurait été effectué un autre test que celui effectué à la buvette du salon Ille-et-Bio de Guichen les 13 et 14 octobre 2012.

Curieusement, les 2 emplois publiés en contrat à durée déterminée ont été pourvus en contrat à durée indéterminée… pour une expérimentation, qui – a l’origine – devait être évaluée au bout d’un an, et non de 3. Ce qui conduit aujourd’hui l’association à prévoir à titre conservatoire leur prochain licenciement économique.

Je lis que : puisque les résultats sont bons, le Département a décidé de poursuivre l’opération

J’observe que ces résultats jugés favorables sont issus d’une enquête auprès des seuls adhérents… lesquels sont par définition à priori favorables, même si on peut s’interroger sur leur attachement à cette monnaie lorsque l’on constate en utilisant le bon dénominateur qu’ils ont été moins de 20 % à répondre au questionnaire qui leur a été adressé.

Je note surtout que le Département s’obstine à ne pas vouloir publier les résultats de l’évaluation de l’expérimentation. Il ne devrait pourtant rien craindre de la société qu’il a choisie pour y procéder, dont on peut légitimement douter de la neutralité. Il s’agit de la société Auxilia qui se présente comme « Conseil imaginatif en développement durable », épaulée dans le cas d’espèce par l’ex porte-parole d’Europe-Ecologie-les Verts qui a mis un terme à sa vie politique à la fin de l’année dernière pour reprendre son métier de psychothérapeute libéral, désormais spécialisé dans la « thérapie individuelle et collective, thérapie de couple, méditation, accompagnement du changement des organisations et systèmes de décision, coaching », que personne ne peut soupçonner d’hostilité puisqu’il est notamment l’un des 2 co-auteurs du rapport « D’autres monnaies pour une nouvelle prospérité » qui a été remis au gouvernement le 8 avril 2015 et de l’ouvrage qui a suivi…

Je lis que : on peut presque tout régler en galléco, son gasoil, son pain, ses livres, sa mutuelle et même son électricité

Pour m’en tenir à une seule illustration de cette délicieuse assertion : il est vrai que dans le département, il y a bien une pompe à l’épicerie de Saint Ganton qui accepte le galléco, mais c’est clairement la seule… et je crains qu’il ne soit pas très bon pour l’environnement que tous les habitants du département y convergent pour aller s’y ravitailler.

Je lis que : Il faudra ouvrir le galléco au paiement numérique.

C’est bien ce qui justifie le titre d’un article qui vient de paraître dans autre quotidien :

Pour sauver le galléco, l’Ille-et-Vilaine veut une monnaie locale numérique

Mais il suffit de consulter le dossier que l’association Galléco a déposé auprès de Rennes Métropole dans le cadre du dernier appel à projets « économie sociale et solidaire » pour constater que ce projet dont le coût est évalué à 156.150 euros (qui s’ajoutent aux frais de fonctionnement de l’association) suppose pendant 3 ans un apport des collectivités territoriales (c’est-à-dire des contribuables), et que cela doit commencer par une contribution de 85.000 euros en 2017 qui doit s’ajouter aux diverses subventions de fonctionnement à venir. Alors qu’il paraît que ces mêmes collectivités territoriales ont du mal à boucler leurs budgets qu’ils doivent alors équilibrer par l’impôt…

Je lis que : le paiement des services publics en gallécos est fortement attendu, car il pourrait inciter plusieurs collectivités à s’engager. Nous avons demandé à plusieurs reprises à la direction générale des finances publiques si c’était possible ou pas. Elle nous a répondu oui début novembre.

En vérité, le Ministère des finances a diffusé tout début novembre à tous les comptables de France susceptibles d’être concernés une fiche technique qui ne modifie rien à la réglementation, mais qui récapitule les conditions qui sont à remplir pour autoriser ces paiements, parmi lesquelles on observera que les collectivités territoriales devront prévoir une rémunération de l’organisme émetteur de la monnaie. Qui va payer, si ce n’est encore une fois le contribuable ?

Pour aller plus loin : ma contribution à l’évaluation du galléco

2 commentaires

  • Michel Drouet

    Analyse pertinente !

  • Merci Michel.

    Voici très précisément ce qu’il est dit de la position du Département à propos du galléco au rapport d’orientations budgétaires pour 2017 qui vient d’être publié sur le site http://www.ille-et-vilaine.fr :

    « Il maintiendra également son engagement en faveur de la monnaie locale complémentaire, le Galléco, en tant qu’outil d’innovation sociale et de développement local, tout en tirant les enseignements de l’évaluation conduite en 2016. A ce titre, la priorité pour 2017 sera de mobiliser un réseau de partenaires publics et privés autour d’une gouvernance et d’une gestion renouvelée de la monnaie complémentaire bretillienne »

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