Les propagandes nécessaires

Jean de Legge était encore tout récemment le Directeur général de la communication de la Ville de Rennes et de Rennes Métropole.

Il vient de publier ce 30 janvier 2014, dans la collection Documents des éditions du Cherche Midi, un ouvrage intitulé : « Les propagandes nécessaires »  dont voici un petit extrait que vous apprécierez, j’en suis sûr :

« Une grande famille sur son territoire

En attendant, tout le monde gagne au bal identitaire, les habitants à qui on apprend qui ils sont, les élus et les pouvoirs locaux qui y trouvent de nouvelles légitimités. L’instrumentalisation de la demande identitaire trouve une illustration dans l’histoire récente des gentilés.

A l’instar de la Somme, de la Dordogne, de l’Indre-et-Loire ou de l’Ille-et-Vilaine et de beaucoup d’autres départements, pour dénommer les habitants, il est nécessaire d’utiliser un complément de nom (les habitants de…). Cette figure de grammaire est apparue comme un désavantage insupportable à certains présidents de conseils généraux qui ont fait de la recherche d’un gentilé une nécessité politique.

Le conseil général d’Ille-et-Vilaine a voté le 20 juin 2013, en séance plénière, l’adoption d’un nouveau gentilé pour les habitants qui s’appellent désormais les Bretilliens. Le président Jean-Louis Tourenne précise « qu’il ne s’agit pas d’une question secondaire, mais de créer un nom de famille, une appartenance à une même communauté, un sentiment que nous formons une grande famille. […] Nous avons besoin de nous rassembler, de caresser le même projet, d’avoir la même ambition […]. C’est un moyen de rassembler la population […] vis-à-vis de l’extérieur, un moyen de montrer que nos appartenons à un ensemble qui a des qualités, des caractéristiques reconnues sous le même vocable […] ».

La démarche a été portée par Ouest-France ; sondages, débats, courriers des lecteurs, interviews de personnalités ont voulu convaincre que l’identité départementale était un sujet. Le conseil général a alors confié à un publicitaire la présidence d’un comité « d’experts » qui devait choisir les noms à soumettre aux élus. Ce publicitaire a tenu à souligner la légitimité démocratique de son comité : « un comité d’experts réunissant une douzaine de personnes représentatives des milieux économiques, culturels, sociaux, représentatif du nord et du sud du département, des gens jeunes et des plus vieux, des hommes et des femmes, nous avons voulu constituer un échantillon vraiment représentatif du département. » La presse et les élus ont repris cet interview sans ciller. Personne ne s’est moqué du titre d’expert et d’expert en quoi, personne n’a trouvé utile de remarquer la contradiction entre le principe même d’un comité d’experts et le concept de représentativité de la population, personne n’a remis en cause le fait que 12 personnes ne peuvent être représentatives d’une population ou d’un territoire, personne n’a relevé que la représentativité était définie par la présence de « milieux économiques, culturels et sociaux ». Un comité recruté ad hominem sur des critères idéologiques est présenté comme l’émanation de la population et l’émanation des pouvoirs économiques, culturels et sociaux réunis. Ces petits travestissements sont évidemment utiles pour glisser de la contradiction au consensus, de la société à la famille, du politique à l’ethnique. On a inventé une tribu. Les élus ne sont plus l’expression de groupes sociaux ou porteurs d’engagements discutables, ils défendent désormais l’intérêt d’une famille. Comment entendre cette fière revendication de Jean-Louis Tourenne, « je suis le premier président bretillien du département ». Faut-il y voir un changement de statut – les prédécesseurs étaient des hommes politiques de divisions sociales et d’esprits de partis, ils n’étaient pas encore Bretilliens. Le président bretillien est d’une autre essence, sa légitimité est liée à son identité locale, il est le président du territoire. A quand un hymne départemental ?

C’est un « nom de famille » a dit l’élu et tout le monde porte le même. Cela atténue le bien-fondé des querelles. L’acteur politique devient le chef de famille ? Cette mue ravive des souvenirs, celui du chef de famille en son fief, du suzerain sur ses terres ou encore du chef totémique, protecteur de la tribu et porteur de la manne des ancêtres.

J’ai pris l’exemple des bretilliens, mais partout dans les collectivités, la mécanique identitaire tourne. Elle a fait ses preuves pour faire exister des territoires de toute nature, communes, pays, régions départements et aujourd’hui communautés intercommunales. »

© le cherche midi, 2014

Cet ouvrage est disponible en version papier et en version numérique.

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