Complétons Monsieur le Préfet

Par courrier du 5 janvier 2015, Monsieur le Préfet d’Ille-et-Vilaine a bien voulu faire part de son point de vue concernant l’appellation des habitants du département qui a été adoptée par le Conseil général en séance du 20 juin 2013.

Vous en trouverez le fac-similé au bout de ce lien (clic).

La position, basée sur la réponse du Ministère de l’intérieur à une question écrite d’un parlementaire, est strictement administrative : « aucun texte ne fixe la procédure pour définir le nom officiel des habitants d’une commune lorsque l’usage n’en a pas été établi. Le principe de la libre administration des communes tendrait à laisser aux conseillers municipaux le choix de déterminer l’appellation des habitants. L’attention des conseils municipaux devra cependant être appelée sur la nécessité de ne pas procéder à de tels choix sans avoir recueilli les avis les plus autorisés pour que l’appellation retenue soit conforme aux règles de la linguistique et à l’histoire de la commune et de son nom. Une telle procédure doit, en outre se fonder sur un large consensus local », avec la précision suivante : « Cette réponse ministérielle concernant les habitants d’une commune peut s’appliquer aux habitants d’un département. »

Ce n’est pas un scoop, puisque c’est mot à mot ce que j’indiquais ici même (clic) dans mon billet du 26 août 2013, soit un mois et demi après la publication de la décision du Conseil général au recueil des actes administratifs n° 442 du 12 juillet 2013, il y a près d’un an et demi.

Monsieur le Préfet conclut sa lettre en faisant observer que « La délibération de l’assemblée départementale décidant de ce gentilé n’a fait l’objet d’aucun recours devant le juge administratif qui seul pouvait indiquer si ce terme était conforme aux règles de la linguistique et à l’histoire du département, et si le large consensus local préconisé par le ministère de l’Intérieur avait été bien respecté. »

L’usage de l’imparfait tendrait à laisser croire que le délai de recours contre un tel acte administratif (qui est, dans le cas le plus fréquent, de deux mois à partir de sa publicité) est à présent épuisé.

Mais ce serait ignorer que pour le représentant de l’Etat, le contrôle de légalité ne se limite pas aux seuls actes des collectivités territoriales dont la transmission est obligatoire, et que pour tout un chacun (y compris en premier lieu pour le représentant de l’Etat) les recours envisageables ne se limitent pas aux seuls « recours en annulation ».

Rien n’empêche en effet d’engager un recours en « déclaration d’inexistence », qui n’est soumis à aucune condition de délai.

Il s’agit là de faire juger qu’en raison de la gravité des irrégularités entachant la décision attaquée, celle ci n’a en réalité aucune existence juridique.

Dans ce cas, le juge ne prononce pas l’annulation de la délibération, puisqu’il se borne à en constater l’inexistence en la déclarant nulle et non avenue.

 Or, l’illégalité est ici flagrante.

Nonobstant quantité d’autres arguments que je mobiliserai aisément si besoin, il suffit pour s’en convaincre d’observer que la décision du Conseil général est entachée d’incompétence absolue.

Le Conseil constitutionnel a en effet estimé sans ambiguïté que « la liberté  de communication et d’expression proclamée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen … implique le droit pour chacun de choisir les termes jugés par lui les mieux appropriés à l’expression de sa pensée » et par voie de conséquence que « le législateur ne peut régler le vocabulaire à employer que pour les personnes morales de droit public et les personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public ».

Et nous savons, qu’en vertu de l’article 62 de notre Constitution, cette décision n° 94-345 DC du 29 juillet 1994 concernant la « Loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française » s’impose « aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».

En décidant que les habitants porteraient désormais le néologisme de son choix, le département d’Ille-et-Vilaine s’est clairement mis « hors la loi ».

Si le représentant de l’Etat n’a malheureusement pas décelé cette flagrante irrégularité dès l’origine, ne serait-ce qu’à la lecture des médias à défaut d’avoir disposé de la délibération, il reste qu’aujourd’hui il est de son pouvoir, et qu’il est même juridiquement de son devoir, de la dénoncer… dès lors qu’il en est alerté.

 L’avenir nous dira si nous vivons bien dans un Etat de droit.

Voir aussi : la position de l’Académie française

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